« Jamais d’estampes… D’abord, je ne sais jamais quoi faire et ensuite, les oeuvres produites sont toutes identiques, c’est inintéressant… »
C’est par un poli refus que la première rencontre avec Daniel Buren s’est soldée en mai 2014 après une conférence à propos de son très intéressant travail sur l’aménagement du tramway de Tours.
Mais, sans le savoir, par ce refus, Daniel Buren donnait aussi le cahier des charges d’une production pour les éditions Multiples Un.
Il fallait donc trouver un programme strict qui permettrait de bannir une expression picturale tout en introduisant des variations « sensibles » à chacun des 7 tirages (nombre de tirages initialement prévus dans la charte des éditions Multiples Un sur un motif donné dans un format 20x20cm sans dessin préalable). Cette variation ferait la qualité même des multiples sans pour autant y introduire d’affect, de geste pictural et tout en utilisant l’outil visuel de la bande de 8,7cm.
Pour établir ce programme, la première idée était de trouver un moyen pour que la variation se fasse « d’elle-même » dans la bande non-blanche, finalement seul espace de « liberté ». La deuxième idée était de pousser le plus loin possible cette variation dans un champ poétique singulier encore non utilisé par Daniel Buren, adepte de la recherche, de la nouveauté, de nouvelles expériences.
Nous avions en tête les travaux situés exposés en 2015 chez Kamel Mennour qui avaient cette force picturale et poétique où «une expression» apparaissait par les veinages différent du marbre dans un même travail.
L’idée d’une production de multiples engageant toutes ces remarques s’enrichit d’une ultime proposition qui ferait le fondement même de ces multiples : une proposition organique, un acte presque « vivant » faisant par là même tout le travail. C’est cette dernière qui allait marquer avec force tout le projet : faire apparaitre la bande non-blanche par de l’acide nitrique sur des plaques d’acier, jouant ainsi de réactions chimiques diverses avec l’impossibilité de produire des résultats identiques.
Cette proposition séduit immédiatement Daniel Buren qui valida le projet.
Il s’en suit le placement des bandes dans cet espace 20x20cm (dimensions initiales du cahier des charges des éditions Multiples Un) qui fut décidé par le commencement d’une bande de 8,7cm sur l’extrême gauche s’alternant avec une bande « acide » sur 5 carrés successifs collés les un aux autres, soit une largeur de 1 mètre.
Il fut ensuite décidé de traités de 7 manières différentes une série de 5 motifs horizontaux : soit par le temps de pose de l’acide, la manière de le laver à l’eau ou pas, d’éponger, de lustrer… donnant à chacun des 7 lignes de 5 carrés une spécificité singulière. Ainsi chaque multiples se trouvaient être totalement unique.
Il est intéressant de voir dans ce travail comment, peut-être pour la première fois dans l’histoire des travaux de Daniel Buren, une qualité picturale proche de la peinture vient se glisser entre deux bandes, aussi proche de la peinture qu’est loin de Buren le désir de peindre. Une antithèse parfaite du degré zéro de la peinture. Il y a de la texture, de la matière, de la touche, des nuances, presque du sensible alors que la réalisation même est issue d’un programme établit sur le papier.
« Cible acide », ainsi nommé par le produit utilisé à la fabrication d’un multiple mais aussi par la référence à ces petits cartons servants d’espace de tir, le titre de ces multiples est aussi un mélange de mots et de lettres conférants une poésie allant dans le sens du résultat sans exclure la référence au médium aussi violent qu’un impact de balle. La recommandation de la situation du multiple obligatoirement placé au milieu du mur d’accrochage renforce cette idée de cible, « cible » de toutes les attentions. Le multiple est aussi accroché à un centimètre du mur grâce à un simple dispositif qui fait ainsi flotter la « cible » comme celles qui défilent dans l’espace sur la ligne du manège du stand de tir.
Les diptyques, quant à eux, poussent encore plus loin la poésie en incluant les couleurs vert-bleu du cuivre et du laiton, issues de la réaction chimique avec l’acide. Disposés en damiers, un carré sur deux, 12 éléments d’un coté et 13 éléments de l’autre, dans une surface d’un mètre carré chacun, les 25 éléments jouent à la fois avec l’idée de cibles espacées sur le mur et brouillent ainsi la vision que l’on peut avoir de l’ensemble initial avant disposition. D’une certaine manière, la pièce apparait aussi comme « éclatée », référence à d’autres travaux de Daniel Buren dont le jeu de transparence permet une nouvelle appréhension de volumes dans l’espace. Ici espace plan, le dytique « éclaté » rappellera plutôt un motif connu, celui du damier et par là même d’une certaine idée classique de la décoration.
Texte : Frédéric Galliano
Photo : Nancy Angama