INTERVIEW DE CLAUDE PARENT, LE 11/09/14, 2ÈME PARTIE

novembre 20, 2014 par Multiples Un

 

Y’a t il de l’oblique aujourd’hui en architecture ?

Il y en a de plus en plus. J’ai signé un petit papier ces jours-ci pour une personne qui me disait : « on se rend compte que de plus en plus, les architectes sont sensibles au développement de cette chose incroyable qu’est la pente ou la rampe ».

Ecoutez ! Cette année, je croyais avoir terminé mon travail. Je me disais : fini le travail, je vais continuer mes dessins pour le plaisir, on se calme !

Et à ce moment là il m’arrive deux trucs : la Tate Liverpool et la Biennale de Venise.

La Tate Liverpool veut que je transforme leur salle d’exposition qui était due à un grand architecte anglais qui est mort maintenant. Ils veulent que je la transforme pour exposer une trentaine de leurs peintures en réserve que j’ai eu le droit de voir. J’ai même apporter mes remarques sur les choix et j’ai fait une mise en salle.

Le directeur, dans sa lettre de commande, m’avait dit : vous pouvez faire de l’oblique, nous sommes d’accord pour de l’oblique ! Que le directeur de la Tate Gallery fasse une exposition avec la mise en scène d’un français et lui dise dans sa première proposition, vous pouvez faire de l’oblique… et que je fasse une installation de 100m2 qu’ils vont garder pour une autre exposition tellement ils sont contents…

Cette installation est entièrement en oblique avec des pentes à 30° ! Tout le monde est content et le public a été enchanté, curieux… Ils ont eu 100% d’adhésion à cette manière d’exposer les oeuvres. C’est incroyable ! Je touche les anglais qui me regardent d’habitude avec une certaine suspicion en tant que gaulois mal élevé… bon ! C’est fou !

De nouveau hier, le directeur de la Tate était ici chez moi et me parlait de mes projets, mes idées… Il voudrait que je vienne encore faire une conférence… On va faire un film seulement. Je ne suis plus en forme physique pour voyager…

Un mois avant, je me retourne dans mon bureau et qui je vois qui n’était jamais venu : Rem Koolhaas ! Il vient dans ce bureau, 2 fois 2 heures et il me dis : « je fais les fondamentaux pour la Biennale de Venise, c’est moi qui dirige tout ça. Il y a un petit espace pour vous ».

Je lui réponds : « et pourquoi ? ».

Il me dis : « je fais les fondamentaux de la Biennale de Venise et dans tous les fondamentaux de l’architecture, il y a la porte, la fenêtre, le sol, la toiture… et j’arrive à la rampe. Et la rampe, c’est qui ? C’est vous ! La pente, c’est vous. Le plan incliné dans l’architecture, c’est vous ! ».

J’avais des photos des années 70 prises dans ma maison de Neuilly, maison qui a été démolie depuis par l’acheteur. Rem Koolhaas me dit donc : « je vais reconstituer cet espace. Des personnes ont déjà parlé de la pente mais celui qui a théorisé tout cela, c’est vous. Donc je vais reconstituer votre maison ! ».

Ils ont donc retrouvé des photos de l’intérieur de cette maison où nous sommes avec des gens en train de discuter et il a décidé de refaire cet espace à l’identique avec des photos de ma femme, mes amis et moi, grandeur nature ! Il a fait des découpages en bois et carton, grandeur nature de nos propres personnages. Et cette installation visitée par les gens de la Biennale n’a pas désempli. Les visiteurs se prenaient en photo dans cet espace. Alors moi je suis là, en carton et les gens se prennent en photo avec ça ! L’oblique est donc révélée par tout le monde.

Je crois que c’est l’an 1 où l’oblique maintenant a franchie toutes ces étapes de refus de toute la profession, des architectes et des gens de l’art… Maintenant elle a été acceptée. Au moment où je pensais plier bagage, je reçois les deux demandes les plus importantes de ma vie.

La semaine prochaine je vais d’ailleurs recevoir les représentants de la plus grande école suisse d’architecture qui veulent me faire faire une mise en scène dans une salle relativement à l’oblique pour que je travaille sur les rapports de l’art et de l’architecture. Ca c’est un sujet d’ouverture intéressant. Quand je me suis tué à dire que l’oblique révélait l’artiste et le monde artistique, personne ne m’écoutait et là, il m’offre un projet en Suisse !

Cette année où je pensais que c’était fini, ils me font tous un pont d’or. Donc je ne vais pas lâcher ! Là j’ai remonté mes accu et c’est reparti. !

Mais maintenant, j’aurais moins d’ennemis et j’ai des partenaires. Et des partenaires officiels, pas de gens comme moi qui sont des francs tireurs qu’on peut abattre d’un coup de mousquet au détour d’une rue. Non, là, on ne s’attaquera pas à la Suisse, à la Tate Liverpool ou à la Biennale de Venise. Alors tranquillisez vous, c’est en route.

 

Une oblique réussie c’est quoi ?

Une oblique réussie, c’est une oblique qu’on pratique. Je suis très, très, très attaché à pratiquer l’oblique avec ses pieds et avec ses jambes. C’est ce qui me fait le plus plaisir. S’assoir dans une oblique par exemple… Chez moi actuellement, je suis en location… déjà qu’on a détruit mon ancienne maison, là je me méfie si je devais encore casser et aménager le plancher ! Mais si je pouvais… J’avais déjà fait des plans pour modifier cet appartement… Je crois qu’il serait beaucoup plus agréable, beaucoup plus intéressant ! Je suis très attaché à pratiquer l’oblique.

 

Une oblique ratée c’est quoi ?

Une oblique ratée c’est une oblique qui fait peur ! Quand elle est trop accidentée, quand elle est trop dangereuse, quand elle demande qu’on soit un acrobate. Je ne suis pas fait pour faire des maisons pour les acrobates. Je suis fait pour faire des maisons pour Pierre et Paul mais qui, au lieu de marcher à l’horizontal, vont marcher et dormir sur des plans inclinés.

 

La plus belle oblique, c’est quoi ?

Je ne vais pas faire une hiérarchie mais il y en a eu dans l’histoire ! Il y en a eu dans l’histoire ancienne. Avant je commençais à les classer mais ce qui m’intéresse ce ne sont pas les archives. Je suis content que mon travail aille dans les archives, que ça ne soit pas détruit, comme l’a été ma maison. Mais ce qui m’intéresse davantage, c’est la pratique la plus courante et la plus évidente. Que ce soit un réflexe. Qu’on trouve le réflexe de l’oblique, l’ascension et la descente. Pour le moment , on ne trouve que la planéité. Le record c’est d’arriver à être horizontale. Et moi, je dis non ! Votre vie, elle sera dans l’obliquité, en dehors de la bataille architecturale, que je grignote et que je gagne petit à petit…

L’Opéra d’Oslo par exemple qui est entouré d’obliques énormes, fait par le cabinet Snohetta… c’est plus commun maintenant, les architectes ont moins peur, ils y viennent. C’est ça la grande victoire. Moi ce que je veux c’est que ça soit un réflexe naturel dans la vie des gens.

 

Pour quelqu’un qui a défendu toute sa vie le béton et l’oblique… finir entre quatre planches à l’horizontal, ce n’est pas un peu moche ?

J’y ai pensé (rires) ! Etant donné que je me suis voué à donner l’exemple… J’ai donné de ma vie, de mon travail, de mon argent pour faire de l’oblique que d’autres ont détruit d’ailleurs… De toute façon, le culte, ces signes de la mort ne m’ont jamais préoccupé ou intéressé, je fais comme si ça n’existait pas.

J’ai d’ailleurs retenu une tombe au cimetière de Neuilly où j’irais peut être à la condition que ma femme y aille aussi ! Donc c’est là, c’est libre, en attente et on peux y aller à pied d’ailleurs, c’est bien… Ce n’est pas sûr que je ne fasse pas ma dernière coquetterie si j’y pense à temps. Je suis cardiaque et je peux être retiré de la circulation à tout moment donc je n’aurais peut être pas le temps. En ce moment je n’ai pas l’humeur à me préoccuper de ça… mais si je me sens vieillir, je retournerai peut être à ma petite tombe pour voir… Ce n’est pas interdit ! Ils n’est pas trop tard, ils n’ont pas encore défendu l’oblique dans les nécropoles. Je vous dirais ça plus tard, c’est pour l’avenir !

Installation de Claude Parent, Tate Liverpool, 2014.

Installation de Claude Parent, Tate Liverpool, 2014.

Biennale de Venise, 2014.

Biennale de Venise, 2014.

Biennale de Venise 2014

Biennale de Venise 2014

Opéra d'Oslo, agence Sonhetta, 2008.

Opéra d’Oslo, agence Sonhetta, 2008.

Claude Parent : "Oblique sans fin : Les passerelles" (Editions Multiples Un - 2014)

Claude Parent : « Oblique sans fin : Les passerelles » (Editions Multiples Un – 2014)